Mémoire de l'Abbé MOUZE

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Dans son bulletin du 1er Janvier 1881, la "Société dunoise d'archéologie, sciences, histoire et art" publie la notice historique qui rassemble les travaux de l'Abbé MOUZE, Curé de Saint-Léonard-en-Dunois, rédigea sur l'Abbaye Notre-Dame-de-l'Aumône, mise en ligne sur son site "Gallica" par la Bibliothèque Nationale de France ; sa source principale est constituée par le manuscrit de PEAN & ROUSSEAU.

NOTICE HISTORIQUE SUR L'ABBAYE DU PETIT-CITEAUX :

Pour découvrir l'original du Mémoire de l'Abbé Mouzé à la Bibliothèque de France :

Bulletin de la Société dunoise : archéologie, histoire, sciences et arts
Bulletin de la Société dunoise : archéologie, histoire, sciences et arts
Source: gallica.bnf.fr

 


Le travail que j'offre à la Société archéologique de Châteaudun est tiré en grande partie d'un manuscrit de M.Péan, ancien juge à Blois et originaire de Marchenoir.
Ce manuscrit; digne d'intéresser les amateurs d'antiquités historiques, renferme l'histoire de Marchenoir et des pays environnants qui composaient autrefois la portion du Dunois méridional faisant maintenant partie du diocèse de Blois.
M. Péan s'était plu à recueillir scrupuleusement tout ce qui pouvait avoir rapport à l'histoire locale de son pays natal, et ses recherches m'ont paru très consciencieuses et très exactes. J'ai vérifié, autant qu'il m'a été possible, les sources diverses où il a puisé ses nombreux documents, et toujours j'ai remarqué la fidélité de ses citations et la justesse de ses assertions, dont ordinairement il n'indique peut-être pas assez les preuves.
Je le suivrai presque entièrement dans ce travail ;  je mettrai seulement un peu plus de réserve dans les détails étrangers à l'histoire du Petit-Cîteaux, et surtout dans les longues énumérations d'une foule de noms qui supposent du reste des recherches minutieuses et considérables.
Ceci posé, je commence sans autre préambule.


L'abbaye du Petit-Cîteaux, paroisse de La Colombe, était une des nombreuses filles de la grande abbaye de Citeaux, fondée le bienheureux Robert, par en 1098, à cinq lieues de Dijon, en Bourgogne.
Etienne Harding, second successeur de St Robert, vint lui- même, paraît-il, fonder l'abbaye du Petit-Cîteaux, vers l'an 1121, sur la demande de Thibault IV, comte de Blois et de Dunois, et avec l'autorisation de l'évêque de Chartres, nommé Geoffroy; vu que cette contrée dépendait alors du diocèse de Chartres.

Thibault IV, surnommé le Grand, plutôt sans doute à cause de ses largesses que de ses succès politiques et militaires, était un zélé bienfaiteur des monastères et des couvents, près desquels, suivant plusieurs chroniques, il venait passer les principales fêtes de l'année, dans des bâtiments destinés à son usage. C'est là sans doute qu'il méditait sur la vanité des plaisirs et des grandeurs de ce monde.
On ne sait pas ce qui engagea ce prince à fonder l'abbaye du Petit-Cîteaux, dans la forêt désignée alors sous le nom de Silvalonie, Silvelongue (Silva Longa), aujourd'hui la forêt de Marchenoir.
Cette forêt dépendait à cette époque du comté de Dunois, dont Thibault IV jouissait avec ceux de Brie, de Champagne et de Blois. Toujours est-il qu'il donna à Etienne Harding une partie de ladite forêt pour l'établissement de ses religieux ;  c'est là que fut fondée la nouvelle abbaye.

Pour lui éviter toute contestation et lui assurer la paisible possession du terrain qu'il donnait aux religieux , Thibault le fit entourer à ses frais d'un large fossé « partant d'un endroit près « Autainville et tendant de borne en borne à La Colombe, dans la partie qui regarde la Beauce, et de là jusqu'au grand chemin de Marchenoir, appelé le chemin du Comte, jusqu'au carrefour « du chemin d'Autainville, etc.. »
Dans sa charte dé donation définitive, datée de 1142, il accorda deux charrues de terre de sa métairie d'Arembert ou Raimbert, et aussi sa métairie de Montchaud, en la paroisse de Verdes, avec ses bâtiments et son droit de fief.
Ces donation et fondation furent confirmées par son fils Thibault V, huitième comte de Blois, dit le Bon, sénéchal de France, vers l'an 1188, du consentement d'Alix, son épouse, et aussi du consentement de Louis et Philippe, leurs fils, et de Marguerite, Isabelle et Alix, leurs filles.

Elle fut depuis confirmée par Louis, neuvième comte de Blois et comte de Clermont, fils dudit Thibault-le-Bon, du consentement de Catherine, son épouse, et de leurs enfants, par sa charte de 1199.
Elle le fut encore par Thibault VI, dit le Jeune, dixième comte de Blois et aussi comte de Chartres et de Clermont, fils dudit Louis, suivant sa charte de 1218, par laquelle il concéda la permission à l'abbaye de faire toutes et telles acquisitions qu'ils jugeraient à propos, de ses vassaux ou autres, dans son fief.

Par une charte du 25 avril 1263, Jean de Chàtillon, comte de Blois et sire d'Avesnes, octroye et confirme à perpétuité au couvent de l'Aumône du Petit-Cîteaux, à tenir pour toujours, toutes les choses, lesquelles ils ont acquises de ses fiefs, etc., en dons, achats, aumônes, depuis le temps de Thibault-le-Jeune, jusqu'au dit jour 25 avril 1263, et toutes lesquelles leur seront données en pure aumône...
Depuis cette fondation primitive, il a été fait quantité de donations à l'abbaye, tant en fonds de terres, métairies, vignes, que cens et rentes ; en outre les acquisitions faites ensuite par les abbés réguliers ou commendataires, dont il sera question plus loin.

Dans les premiers temps de sa fondation, l'abbaye du Petit- Cîteaux était très pauvre, n'ayant encore pour subvenir à ses besoins que les dons particuliers de Thibault IV et des personnes charitables qui venaient en aide aux religieux pour leur nourriture et la construction de leur couvent. Cette circonstance détermina Ulric, le premier abbé de cette communauté naissante, nommé par Etienne Harding, et solennellement consacré par l'évêque de Chartres, à donner à son abbaye le nom modeste et touchant de Notre-Dame de l'Aumône.
C'était un témoignage de son humilité et de sa reconnaissance qui fut bientôt récompensé par la divine Providence, car, plus tard, la grande prospérité de cette abbaye et les biens considérables qu'elle posséda lui permirent de répandre d'abondantes aumônes dans les pays voisins. Nous avons connu des vieillards de la contrée qui, il y a une vingtaine d'années, se rappelaient avoir vu, avant la destruction du couvent en 1793, des voitures chargées de blé arriver dans leurs paroisses, et envoyées par les bons religieux du Petit-Cîteaux pour le soulagement des pauvres du pays. L'abbaye s'appelait donc à la fin Notre-Dame de l'Aumône, non plus parce qu'elle vivait d'aumônes, mais parce qu'elle en faisait beaucoup aux environs, comme nous le verrons plus loin,

Une fois bien établi, le couvent du Petit-Cîteaux ne tarda pas à exercer une heureuse influence dans toute la contrée, par la vie très édifiante de ses religieux et par l'exemple des personnes de toute condition, même des plus riches, qui vinrent s'y retirer pour se consacrer à Dieu et vivre dans le recueillement et la prière.

Bientôt la communauté s'accrut, au point que, quinze, dit M. Péan, ans après son premier établissement, elle avait déjà fondé elle-même cinq abbayes celle de Landais en Berry, celles de Gaverly (1129) et de Tuitern (1131) en Angleterre, de Bégard (1130) et de Langonet en Bretagne (1136).

Cette prodigieuse prospérité engagea le souverain-pontife Innocent II à approuver la fondation de cette abbaye par une bulle spéciale donnée à Pise, au mois de mars de l'année 1136. Ce fut donc quelques années après que le comte Thibault ratifia sa donation de 1121 par sa charte de 1142,  dont nous avons parlé plus haut.

Cet acte authentique fut signé par de nombreux témoins, parmi lesquels on remarque Bernier, Prieur de Saint-Léonard, Richer, seigneur de Vievy, Herbert, seigneur de Moisy, et Hardouin,  Seigneur de Chantôme, paroisse de Binas,
Les possessions de l'abbaye du Petit-Cîteaux, dans les derniers temps qui ont précédé la Révolution de 93, consistaient en rentes, prés, vignes, terres labourables, deux moulins, sept étangs, vingt- huit métairies et onze cents arpents de bois.
Le tout était divisé en trois parties d'égal produit. L'abbé commendataire jouissait de la première et les religieux de la deuxième. La troisième était exclusivement affectée aux dépenses du culte, à l'entretien des bâtiments et au soulagement des pauvres, auxquels on distribuait continuellement: d'abondantes aumônes, tant à ceux qui se présentaient au couvent qu'à ceux qui habitaient les paroisses voisines... Je ferai connaître plus loin le détail de tous ces biens et revenus.
Voici les principaux priviléges dont jouissait l'abbaye :

  1. Les terres qu'elle exploitait elle-même étaient exemptes de dîmes, et d'après une bulle d'Alexandre III, endate de 1163, son enclos était impénétrable et inviolable sous peine d'excommunication.
  2. L'abbé officiait avec la mître, la dalmatique, l'anneau, la crosse pontificale et les autres ornements épiscopaux, et cela d'après une bulle de Callixte III, en date du mois de septembre 1455.
  3. Les registres de recettes des rentes qui. lui étaient dues faisaient preuve en justice et tenaient lieu de titres, suivant les lettres patentes du roi Charles IX, en date du 25 octobre de l'année 1568.
  4. L'abbaye avait le droit de se servir d'un sceau spécial, très ancien, sur lequel on lisait ces mots latinsSigillum abb. B. M. de Eleemosyna.


Depuis sa fondation jusqu'au XVIe siècle, l'abbaye du Petit- Cîteaux fut toujours gouvernée par des abbés réguliers ; mais, à partir de l'année 1539, elle eut des abbés commendataires qui percevaient le tiers des revenus, comme je viens de le dire ci-dessus.

Elle eut beaucoup à souffrir au XVe siècle de l'invasion des Anglais, qui pillèrent le trésor de son église, et au XVIe siècle des incursions des protestants, qui y commirent les plus déplorables excès. Le couvent fut pillé et dévasté par ces farouches hérétiques qui, sous prétexte de réforme, se rendaient coupables de meurtres, vols et incendies partout où ils passaient.
Son église fut alors en partie détruite, et on dut regretter, sous tous rapports, la perte de cet édifice, qui semble avoir été un petit chef d'oeuvre de l'art gothique. J'ai eu occasion de trouver sur l'emplacement de l'abbaye en ruines quelques débris de fûts de colonnes, de nervures et de chapiteaux parfaitement sculptés, ayant servi à la formation des piliers et des arcades, et j'ai pu juger de l'importance et de la beauté de cet édifice, dont la construction primitive m'a paru remonter au commencement du XIIIe siècle;

C'est aussi l'avis de M. Péan. Suivant un acte de donation datant de 1228, ayant pour auteur Pierre de Salerne, et rappelant une autre donation analogue faite en 1190, par Payen, seigneur de Mondoubleau, on voit que « les principales pierres qui entrèrent dans cette construction sortirent d'une carrière appartenante à l'abbaye de Vendôme, située près de cette ville, , dans un lieu appelé La Chappe. »
La preuve de ce fait est encore établie, dit M. Péan, dans un acte du mois de mars 1271, par lequel les religieux du Petit- Cîteaux reconnaissent que la carrière de La Chappe, près Vendôme, dont avaient été extraites les pierres pour la construction de leur église, appartient en propriété à l'abbaye de Vendôme, qui avait permis cette extraction, mais sans renoncer à la propriété du fonds.

Un grand nombre de personnages distingués demandèrent par testament à être inhumés dans cette église, afin de participer davantage aux prières et aux pénitences des religieux de l'abbaye.
Citons Nivelon de Meslay, inhumé le 16 janvier 1212 ; Geoffroy V,  vicomte de Châteaudun, et Adélicie, sa femme, en l'année 1207 ;  Foulques de Frazé, écuyer, seigneur de Villefleurs et de Charray, en 1217 ;  Hugues seigneur de Meslay, en 1223 ;  Philippe Roupenon, seigneur des Boulayes, en 1271 ; Robert Galaffre, curé de Saint- Mandé et de Montfollet, en 1469...

Après sa destruction presque complète par  les protestants, cette église fut remplacée par l'ancien réfectoire du couvent, auquel on fit subir plusieurs modifications, pour le rendre propre à cette destination nouvelle. Le lambris fut mis à neuf et orné de peintures ; un petit clocher fut élevé sur son comble pour recevoir l'horloge et la cloche des religieux. Ce bâtiment fut divisé, par une séparation spéciale, en deux parties, dont l'une forma la nef des fidèles et l'autre le choeur, qui fut convenablement décoré et qui, plus tard, reçut le magnifique autel en chêne sculpté qu'on voit aujourd'hui dans l'église de Viévy.

Au moment des dévastations commises par les protestants, les religieux avaient été obligés d'abandonner leur couvent pour éviter d'indignes traitements et même la mort. Pendant leur absence, les principaux titres de l'abbaye restèrent cachés chez un nommé Jacques  de Varennes, seigneur de Chevrigiiy et habitant de La Colombe. Ce gentilhomme était protestant et à cause de cela sa maison fut exempte des investigations des pillards huguenots. Comme il n'approuvait pas la conduite de ses correligionnaires, il conserva avec soin les titres dont il avait accepté le dépôt, et il les remit fidèlement aux religieux aussitôt après leur retour dans l'abbaye dévastée,
Grâce à cette précaution, l'abbaye put rentrer en possession de tous ses biens,  ce qui permit à l'abbé de faire exécuter au couvent toutes les réparations nécessaires et de continuer les aumônes ordinaires, tant aux étrangers passants qu'aux pauvres de la contrée. Les bons religieux  faisaient passer la charité avant leurs propres  besoins. « Jamais, dit M. Péan, l'abbaye ne se prévalut de ses pertes pour se soustraire à la dépense à faire pour subvenir aux nécessités publiques et particulières. En effet, dans aucune circonstance,  ses aumônes journalières  ne furent ni moins abondantes,  ni moins générales ; les religieux seuls ressentirent l'effet de la diminution de leurs revenus, l'augmentation de leurs charges ; et lorsqu'il eut été décidé que la ville de Châteaudun, incendiée en 1723, serait rebâtie, ils vendirent une coupe extra-ordinaire de bois, dont le prix montait à la somme de 35,100 fr., appliquée à la dépense de cette reconstruction. Cette somme représentait au moins 60,000 fr. de notre monnaie, ou pour mieux dire une valeur actuelle du bois. »

J'ai dit plus haut que les biens et rentes de l'abbaye avaient été partagés en trois lots, dont le premier était à la jouissance de l'abbé commendataire, le deuxième, à celle des religieux, et le troisième était destiné aux charges du couvent, dites charges claustrales, dont je parlerai ci-après. Voici les noms, par ordre alphabétique, dans lesquels se trouvaient ces biens, des principaux pays avec indication des donateurs :


Je n'ai mentionné dans cette énumération que m'a paru devoir intéresser les lecteurs de Châteaudun, ce qui encore d'autres biens donnés à l'abbaye car il y avait dans plusieurs autres paroisses des environs de Blois et de Beaugency.

Voici maintenant certains droits et usages concédés à l'abbaye par différents personnages qui m'ont semblé les plus remarquables :

J'ai parlé ci-dessus des charges claustrales auquel était affecté le troisième lot des biens de l'abbaye;  je vais transcrire le détail de ces charges, tel qu'il se trouve dans le manuscrit de M. Péan :


Dépenses

NuméroIntituléMontant
01 Pour entretenir la lampe nuit et jour, devant le Saint-Sacrement 30
02 Pour les cierges tant d'offices que de messes solennels 78
03 Pour chandelles des matines, de six mois de l'année 20
04 Pour l'encens aux grandes fêtes 3
05 Pour pain et vin à dire lès messes 20
06 Pour l'entretien et la nourriture du petit garçon à servir les messes 100
07 Pour entretenir les lampes les cordages et burettes de verre, des lampes et cloche 16
08 Pour l'entretien de l'horloge 15
09 Pour l'entretien des ornements, chasubles, dalmatiques, voiles de calices, tapis et coussinets des cinq couleurs

80

15 Pour entretenir une lampe au dortoir, pendant la nuit 15
16 Pour le Service annuel, dans la chapelle de Saint-Laurent , distante de deux lieues de ladite abbaye, la veille et le jour de la fête de ce saint 50
17 Pour les messes abbatiales, qui sont au nombre de quarante-cinq 100
18 Pour les meubles et linges de l'infirmerie, etc., gages dès médecins, chirurgiens et apothicaires, et d'un valet pour servir les malades. 600
19 Pour l'entretien des chambres d'hôte et la nourriture, etc 500
20 Pour les deux aumônes générales qui se font le dimanche de la quinzaine et le jeudi absolu 4 muids blé
21 Pour les aumônes qui se doivent faire tous les jours à la porte du monastère 4 muids méteil
27 Pour entretenir un religieux aux études ou pour un précepteur dans l'abbaye, afin d'enseigner les jeunes religieux 300 l

Telles sont les notes les plus intéressantes que j'ai puisées dans le manuscrit de M. Péan sur l'histoire du Petit-Cîteaux, jusqu'à la Révolution de 1793. 

Je vais maintenant raconter sa triste fin et sa destruction presque entière, qui a duré jusqu'en ces derniers temps.
Donc, en l'année 1790, par suite de la loi anti-religieuse du 13 février, le prieur de l'abbaye, dom Marcel-Guillaume Maublanc, et ses bons religieux furent informés officiellement de la suppression de leur ordre, et reçurent l'injonction de quitter leur monastère, dans un court délai, avec la liberté de se retirer où bon leur semblerait, et d'emporter, avec leurs vêtements, quelques objets indispensables de leurs cellules. Aussitôt les scellés furent posés sur tout le reste et sur tout le mobilier de l'église et de la sacristie, d'après la loi de confiscation rendue au nom du Peuple français ....
Très-peu de temps après, on transporta au chef-lieu de district de Mer la cloche, les vases sacrés, les ornements sacerdotaux, et généralement tout ce qui servait au culte divin, pour être convertis en matières monétaires. Quant aux livres de la bibliothèque et aux archives de l'abbaye , ils furent dispersés, vendus ou détruits, suivant la décision de ceux qui présidaient à ce pillage officiel. Ensuite on fit une vente à l'encan et sur place de tous les objets mobiliers servant aux religieux et aux besoins du couvent, de sorte qu'il ne resta plus, dit M. Péan, que des parois de murs et des cloisons chauves et dégradées par le vandalisme révolutionnaire. Les bois considérables qui dépendaient de l'abbaye devinrent la propriété de l'État, comme ils le sont encore aujourd'hui.
Enfin les bâtiments, cours et jardins, furent vendus et adjugés le 14 juin  1791 à un cultivateur de Sancheville pour et au nom d'un sieur Nicolas Picfer,  propriétaire à Paris, suivant procès- verbal d'adjudication devant les chefs du district. Ils passèrent successivement à plusieurs propriétaires, entre autres à la marquise d'Hautpoul, qui vint les habiter quelque temps.
Après tous ces changements, les principaux bâtiments furent une dernière fois vendus, pour  être démolis à un sieur Duchon, charpentier, à Autainville, qui employa une partie des moellons à faire de la chaux et céda toutes les autres pierres propres à la construction aux habitants des communes voisines.
J'ai souvent rencontré, dans les villages bordant la forêt de Marchenoir, de magnifiques pierres taillées et sculptées qui provenaient de cette démolition et qu'on destinait à noyer dans la maçonnerie de quelque mur de grange, de bergerie ou de simple chaumière. Cette vue de témoins muets et éloquents, quoique insensibles, des grandeurs passées du vieux couvent de Cîteaux, me rappelait les vicissitudes et le néant des choses de ce monde, en même temps qu'elle excitait en moi des sentiments de tristesse et de regrets, au souvenir des bienfaits sans nombre de cette célèbre abbaye, dont il ne reste plus aujourd'hui que le nom.
Je m'arrête à ce triste souvenir et je regrette vivement que les paroisses de la Beauce soient privées de ce foyer bienfaisant de dévotion et de lumières évangéliques, qui, dans des temps plus heureux, entretenait en elles les sentiments de foi et de religion si nécessaires au bonheur de la famille et de la société.

A. MOUZÉ, Curé de Saint-Léonard-de-Dunois

 

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